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Maison

L'Astronomie, vol. 123, février 2009 n°13, pp. 16-20, ISSN 0004-6302

 

 

D'Hipparcos à Gaia

 

Catherine Turon et Frédéric Arenou

Observatoire de Paris, GÉPI / CNRS UMR 8111

 

 

« Toujours la vue des étoiles me fait rêver, aussi simplement que me donnent à rêver les points noirs représentant sur la carte géographique villes et villages. Pourquoi, me dis-je, les points lumineux du firmament nous seraient-ils moins accessibles que les points noirs sur la carte de France ? »

Lettres à Théo, Vincent Van Gogh

 

 

 

L'idée d'utiliser un satellite dans l'espace pour mesurer, avec plus de précision qu'au sol, les déplacements angulaires des étoiles sur le ciel, donc en particulier les mouvements propres mais aussi les déplacements parallactiques, a été proposée en 1965-1966 par les Professeurs Pierre Lacroute et Pierre Bacchus alors à l'Observatoire de Strasbourg. Observer depuis l'espace permet d'échapper à nombre de difficultés techniques sur lesquelles butaient les observations effectuées au sol : la turbulence et la réfraction atmosphériques, la flexion des instruments due à la pesanteur, les irrégularités du mouvement de la Terre. De plus, un télescope embarqué permet l'observation de l'ensemble du ciel, ce qui est évidemment impossible depuis le sol. Cette idée, complètement novatrice à l'époque, est à l'origine du satellite Hipparcos. Trois des principes de base d'Hipparcos étaient déjà posés : un miroir complexe permettant l'observation simultanée d'étoiles dans deux champs du ciel situés à 90° l'un de l'autre, un satellite balayant l'ensemble du ciel, et la présence, dans le plan focal, d'une grille composée de bandes alternativement opaques et transparentes qui modulait la lumière reçue des étoiles observées.

 

Après plusieurs pré-études au CNES puis à l'ESA (ESRO à l'époque), et une prospective scientifique approfondie, ponctuée de plusieurs colloques internationaux, la mission Hipparcos était finalement sélectionnée par l'ESA en 1980, avec pour but de mesurer les mouvements propres et parallaxes trigonométriques d'environ 100 000 étoiles assez brillantes avec une précision de l'ordre de 2 millièmes de seconde de degré (2 mas). L'Europe est ainsi devenue pionnière dans un domaine, l'astrométrie spatiale, où tant l'ESA elle-même, que les scientifiques et les industriels européens ont acquis une expertise encore maintenant unique au monde.

 

Le satellite, lancé par le 33ème vol d'Ariane le 8 août 1989, n'a jamais atteint l'orbite géostationnaire sur laquelle il devait évoluer à cause d'une panne du système d'allumage de moteur d'apogée. Bien que sur une orbite très elliptique traversant les dangereuses ceintures de radiations de Van Allen deux fois toutes les 10h 40 (période de l'orbite), le satellite a fonctionné pendant 4 ans, et observé 118 000 étoiles avec une précision astrométrique meilleure que 1 mas ainsi qu'une photométrie également très précise (de l'ordre de la milli-magnitude). Le catalogue qui en est résulté, publié en 1997, est encore, 10 ans après, la référence en terme de précision astrométrique. Plus de 6000 publications ont utilisé ces données, et encore maintenant, environ 200 nouvelles études sont publiées chaque année. Avec Hipparcos, l'astrométrie est entrée dans une nouvelle ère : elle est devenue un outil majeur pour l'astrophysique. La précision de ces mesures de distances et de mouvements des étoiles du voisinage solaire a permis des avancées remarquables sur nombre de sujets de physique stellaire et galactique (détermination des luminosités et des âges de très nombreuses étoiles entraînant une meilleure compréhension de la physique de l'intérieur des étoiles, permettant de rendre enfin compatible l'âge des étoiles les plus anciennes du voisinage solaire avec l'âge estimé pour l'Univers à partir de théories cosmologiques) ; sur l'échelle des distances ou les systèmes de référence ; les étoiles doubles ou variables ; la structure et la cinématique des amas d'étoiles (en particulier l'étude à 3 dimensions de l'amas d'étoiles le plus proche du Soleil, les Hyades) ; l'étude de la rotation galactique et des mouvements des différentes populations d'étoiles de la Galaxie ; les masses et les orbites des astéroïdes ; etc. Une nouvelle analyse des données du satellite utilisant les moyens de l'informatique moderne et une meilleure compréhension de la dynamique du satellite a même permis, en 2007, d'obtenir une précision astrométrique améliorée d'un facteur 2,2 pour les étoiles les plus brillantes du programme (plus brillantes que la magnitude 9).

 

Le succès d'Hipparcos a amené la communauté à réfléchir dès le début des années 1990 aux applications scientifiques d'une astrométrie encore plus précise. Une nouvelle mission, Gaia, beaucoup plus ambitieuse qu'Hipparcos, mais utilisant les mêmes principes pour les observations astrométriques a été proposée dès 1992 par L. Lindegren et M. Perryman, et acceptée par L'ESA en 2000. Son lancement est prévu pour 2012. Gaia observera un milliard d'objets avec une précision astrométrique jusqu'à 100 fois supérieure à celle d'Hipparcos, permettant l'observation d'objets beaucoup plus faibles et beaucoup plus lointains que son prédécesseur. De plus, des vitesses radiales ainsi que des observations photométriques, permettant de caractériser les étoiles observées d'un point de vue astrophysique, seront obtenues en parallèle aux observations astrométriques. Par cet ensemble tout à fait unique de données, Gaia va permettre un décryptage complet des différentes populations de notre Galaxie amenant une compréhension beaucoup plus approfondie de la formation et de l'évolution de celle-ci, une détermination beaucoup plus précise de l'échelle des distances dans l'Univers, et de nombreuses autres applications dans des domaines aussi différents que la physique stellaire, le système solaire ou la relativité générale. Les scientifiques français y jouent de nouveau un rôle important : après avoir beaucoup contribué à la prospective scientifique et à la définition des instruments, ils ont maintenant, avec un fort soutien du CNES, de nombreuses responsabilités dans le Consortium d'Analyse des Données (DPAC pour Data Processing and Analysis Consortium). Enfin, c'est EADS Toulouse qui est maître d'oeuvre de la construction du satellite.

 

La Table 3 donne une comparaison des caractéristiques d'Hipparcos et de Gaia. Gaia allie la puissance de découverte de l'observation systématique de l'ensemble du ciel à la précision de ses trois instruments parfaitement complémentaires : recensement complet de tous les objets jusqu'à la magnitude 20, position, distance, les trois composantes de la vitesse des objets observés (mouvements propres et, pour les objets jusqu'à la magnitude 16.5, vitesses radiales) et enfin leur caractérisation astrophysique (température, gravité, rotation, abondance des éléments chimiques, en particulier de la métallicité).


Table 3 : Comparaison des caractéristiques d'Hipparcos et de Gaia.

 

 

Hipparcos

Gaia

Premières idées

Programme scientifique de l'ESA

Lancement

Durée de la mission

Publication de catalogue

1965

1980

1989

4 ans

1997

1992

2000

Prévu pour fin 2011

5 (+1) ans

Prévu pour 2020

Observations

 

 

-    Voisinage solaire

-    Catalogue d'Entrée :
étoiles pré-sélectionnées

Toute la Galaxie et au-delà

Détection à bord :
observation systématique

Nombre d'objets observés

Astéroïdes

Quasars

Autres objets

Exoplanètes

118 218 étoiles

48

1

-

5 confirmées a posteriori

Un milliard d'objets

> 500 000

500 000

1-10 millions de galaxies

2000-5000

Magnitude limite

Nombre de mesures par objet

12,4

100

20-21

80

Précision astrométrique

 

1 mas

 

0,007 mas pour V < 12

0,025 mas à V = 15

0,2 mas à V = 20

Photométrie

Vitesses radiales

Spectroscopie

3 couleurs

-

-

Multi-couleurs

Jusqu'à V = 16,5

Jusqu'à V = 16,5

Etoiles avec une distance connue
à mieux que 10% près

21 000 étoiles

jusqu'à 220 pc

100 millions d'étoiles,

jusqu'à 15 000 pc

Description de l'atmosphère des étoiles

Abondances des éléments chimiques

 

-

-

 oui

 oui

 

 

 

Gaia : le satellite et les instruments astrométriques, photométriques et spectroscopique

Gaia est un satellite scientifique de l'Agence Spatiale Européenne qui sera lancé depuis Kourou par une fusée Soyouz-Fregat. C'est un gros satellite de près de deux tonnes, remarquable par la grande couronne de son écran solaire déployable, qui sert à la fois à protéger la charge utile des rayons et de la chaleur du soleil et à porter les panneaux solaires. La Figure 5 montre le satellite à l'intérieur de la coiffe d'un Soyouz-Fregat avec son écran solaire replié et sa silhouette une fois l'écran déployé. Le déploiement de l'écran solaire est montré sur la Figure 6. La Figure 7 montre un schéma de l'ensemble charge utile - module de service. Le module de service comporte tous les éléments permettant le fonctionnement du satellite (électricité, contrôle thermique, contrôle de l'attitude, etc.) et les communications radio avec la Terre. La charge utile est au-dessus et on remarque tout en haut les deux grands miroirs rectangulaires.

 


Figure 5 : Le satellite Gaia dans la coiffe d'une fusée Soyouz-Fregat 

et dans sa configuration d'opération (© EADS Astrium

satellite 1 satellite 2

 



Figure 6 : Le satellite Gaia : déploiement de l'écran solaire (© ESA).

coiffe1 coiffe2 coiffe2

 


Figure 7 : Schéma de l'ensemble charge utile - module de 

service du satellite Gaia (© EADS Astrium).

charge utile

 

 

La charge utile comporte deux télescopes dont les miroirs primaires mesurent 1,45 m x 0,5 m et qui partagent un même plan focal où est enregistrée la lumière des objets observés dans les deux champs de visée. L'ensemble des instruments est monté sur un banc optique hexagonal ultra-stable taillé dans du Carbure de Silicium. La Figure 8 montre un schéma de la charge utile et le trajet de la lumière reçue du champ n° 1. Chaque champ d'observation a une taille de 1,7° x 0,6° sur le ciel. Ils sont séparés par un angle de base de 106,5° dont la stabilité, cruciale pour la précision des mesures d'angles, est assurée par la rigidité du banc d'optique. La lumière émise par un objet du champ n° 1 est recueillie par le miroir M1, puis réfléchie successivement par les miroirs M2 à M6 avant d'être enregistrée, dans le plan focal par une très grande mosaïque de CDDs. De même, la lumière provenant du champ n° 2 est recueillie par le miroir M'1, puis réfléchie successivement par les miroirs M'2 à M'4 puis M5 et M6 avant d'atteindre  le plan focal. La longueur focale totale du télescope est de 35 m et les chemins optiques de deux champs de visée se rencontrent sur le combineur de faisceaux M4/M'4.

 


Figure 8 : La charge utile de Gaia (© EADS Astrium)

charge utile

 

 


En plus du champ principal qui assure les mesures astrométriques, la lumière des objets observés traverse aussi les prismes des spectrophotomètres rouge et bleu, ainsi que le spectrographe : le « Radial Velocity Spectrometer » (RVS). La Figure 9 montre le détail du chemin optique depuis les miroirs M4/M'4 et jusqu'au plan focal ainsi que les emplacements des spectrophotomètres et du spectrographe RVS, situés entre le miroir M6 et le plan focal. Les spectrophotomètres sont constitués de deux prismes à faible résolution dans les domaines de longueur d'onde 330-680 nm pour le bleu (avec une dispersion de 3 à 29 nm/pixel), 640-1050 nm pour le rouge (avec une dispersion de 7 à 15 nm/pixel). Pour chaque objet observé, ils apportent la distribution en énergie lumineuse sur tout le spectre, ce qui permet de déterminer ses caractéristiques astrophysiques : classification, température, gravité de surface, métallicité, rougissement sur la ligne de visée, etc.. Le RVS est un spectrographe intégral de champ qui observe dans le proche infrarouge, de 847 à 874 nm, avec une résolution spectrale moyenne (λλ ~ 11 000) et disperse toute la lumière du champ observé. Il apporte la mesure de la troisième composante de la vitesse, la vitesse radiale, pour toutes les étoiles jusqu'à la magnitude 16,5, ainsi que l'abondance d'un certain nombre d'éléments chimiques pour la partie la plus brillante du programme.

 


Figure 9 : Détail de la charge utile de Gaia montrant le chemin optique à partir des miroirs M4/M'4,(© EADS Astrium)

les instruments spectro-photométriques et le spectrographe RVS 

charge utile

 

 


Le plan focal de Gaia en est l'une des pièces maîtresses (voir Figure 10). Avec ses 106 CCDs, il contient près d'un milliard de pixels (un gigapixel), soit bien plus que les quelques millions que l'on trouve sur un appareil photo numérique. Tandis que le satellite tourne lentement sur lui-même (un tour complet en six heures), les images des étoiles observées traversent le plan focal en passant successivement à travers les repéreurs d'étoiles (qui détectent les étoiles à observer et permettent de savoir si l'objet est observé dans le champ n°1 ou le champ n°2), le champ astrométrique, les détecteurs des spectrophotomètres rouge et bleu, et enfin les détecteurs du RVS. De par la construction-même de l'ensemble de l'instrument, les photomètres et le spectrographe bénéficient de la détection des objets à observer effectuée à bord par les repéreurs d'étoiles.

 

Une fois lancé, le satellite parviendra en 2 à 3 mois à son orbite au second point de Lagrange, L2, situé à une distance de 1,5 million de km de la Terre, dans une direction opposée au Soleil, et tournant autour du Soleil en phase avec la Terre en une année. Les principaux avantages d'une orbite au point L2 (l'un des cinq points d'équilibre du système Soleil-Terre) sont d'offrir un environnement très stable en température et la possibilité d'observer l'ensemble de la sphère céleste sans interruption (le Soleil, la Terre et la Lune étant tous du côté opposé à la direction des observations). Gaia enverra des données pendant environ huit heures chaque jour pendant la mission. Ces données seront reçues par deux antennes de 35 m de diamètre située l'une en Espagne, à Cebreros, l'autre en Australie, à New Norcia.

 


Figure 10 : Le plan focal de Gaia

Les deux premières colonnes de CCDs correspondent aux repéreurs d'étoiles, qui effectuent la détection des objets à observer, et permettent de distinguer s'ils proviennent du champ n° 1 (FoV1) ou du champ n° 2 (FoV2). Les colonnes AF1 à AF9 sont les CCDs du champ astrométrique. BP et RP sont respectivement les CCDs des photomètres bleu et rouge. Enfin, RVS1 à RVS3 sont les CCDs du spectrographe RVS.

plan focal

 

 


Gaia : les observations et l'analyse des données

Le satellite balayera le ciel très régulièrement pendant les cinq années de mission, avec une prolongation possible d'une année. La loi de balayage dont sera animé le satellite a été définie de telle sorte que l'angle entre le Soleil et l'axe de rotation du satellite soit maximum (pour optimiser la précision astrométrique) et que la couverture du ciel soit la plus uniforme possible (pour observer avec la même précision les étoiles dans toutes les directions, et donc dans toutes les parties de notre Galaxie). Elle est schématisée sur la Figure 11 : le satellite tourne sur lui-même, et les deux champs d'observation décrivent un grand cercle sur la sphère céleste, en six heures. Grâce au lent mouvement de précession de l'axe de rotation autour de la direction du Soleil (un tour en 63 jours), les zones du ciel balayées par deux grands cercles successifs se recouvrent et les objets qui se trouvent dans la zone de recouvrement sont observés successivement dans le champ de vision n°1 puis, 106,5 minutes après, dans le champ de vision n°2 puis de nouveau dans le premier champ au bout de six heures. Au cours des cinq années de mission, chaque zone du ciel sera ainsi observée en moyenne 80 fois, les objets situés à haute latitude écliptique seront observés plus souvent, ceux qui sont dans le plan de l'écliptique moins souvent. L'ensemble du ciel sera observé en environ quatre mois.


 

 

Figure 11 : La loi de balayage du ciel du satellite Gaia

Le satellite tourne sur lui-même à la vitesse de 60 secondes de degré par seconde de temps, soit un tour en six heures. L'axe de rotation est animé d'un lent mouvement de précession et fait un tour autour de la direction du Soleil en 63 jours, tout en restant toujours à 45° de celui-ci. Avec un angle de base de 106,5°, le champ n° 2 est observé 106,5 minutes après le champ n° 1.
balayage

 

Gaia va observer tous les objets plus brillants que la magnitude V = 20 (400 000 fois plus faibles que les plus faibles des étoiles observables à l'oeil nu), soit environ un milliard d'objets, 80 fois chacun. Pour chaque objet observé, des mesures astrométriques, photométriques et spectroscopiques seront effectuées, chaque objet traversant successivement les 16 colonnes de CCDs. On arrive ainsi à un total d'environ 700 milliards de mesures astrométriques, 150 milliards de mesures spectro-photométriques, 15 milliards de mesures spectroscopiquesÉ pour toutes sortes d'objets : majoritairement des étoiles (simples, doubles, multiples, variables, avec une ou des planètes, avec des taches, etc), 20 000 supernovae, mais aussi des objets du Système Solaire (250 000 astéroïdes, des comètes, des satellites de planètes), quelque 500 000 quasars et autant de galaxies. À cela s'ajoute naturellement toutes les mesures relatives à l'instrument lui-même : température, angle de base, directions observées, heure locale, etc. Au total, environ 520 Goctets seront transférés au sol chaque jour depuis le satellite, soit environ 100 Teraoctets (1014 octets) pour les cinq années de mission. Cela représente environ 20 000 DVDs et quelque 1000 fois plus que les données brutes d'Hipparcos. Pour comparaison, la totalité des 55 milliards de pages des archives du Web (depuis 1996 jusqu'à fin 2008) représente environ 2000 Teraoctets.

 

L'analyse de cette masse de données est d'autant plus complexe que les différentes sortes de données sont interconnectées : on a besoin de connaître l'attitude du satellite pour déterminer les paramètres astrométriques, mais on a aussi besoin de connaître les paramètres astrométriques pour améliorer la précision sur l'attitude du satellite, on a besoin de connaître la couleur et la vitesse radiale des étoiles pour obtenir la précision recherchée sur les paramètres astrométriques, de connaître les positions pour déterminer les vitesses radiales, de l'ensemble des données pour distinguer les étoiles des galaxies, des quasars ou des astéroïdes. L'analyse est donc faite de façon itérative. Et il faudra le faire rapidement: si l'on consacrait 1 seconde de temps CPU au traitement de chaque étoile, il faudrait plus de 30 ans de calcul ininterrompu pour arriver à produire un catalogue ! On estime en effet à environ 1021 le nombre d'opérations nécessaires au traitement des données de Gaia, soit 10 000 fois le nombre d'opérations que peut effectuer un PC pendant un an.

 

Gaia : les performances scientifiques

Résumer les performances scientifiques de la mission est une gageure : avec ses trois instruments, astrométrique, photométrique et spectroscopique, la puissance de découverte d'un survey complet du ciel jusqu'à la magnitude 20, l'observation répétée de toutes les régions du ciel pendant cinq ans ou plus, la détection systématique des objets à observer, effectuée en temps réel à bord et, « last but not least », une précision astrométrique sans précédent, Gaia est une mission unique en son genre qui va apporter un renouveau de très nombreux domaines de l'astrophysique. Pour donner quelques chiffres, Gaia permettra d'obtenir des distances jusqu'à environ 10 000 pc avec une précision de l'ordre de 10-20 μas (7 μas pour V<10). La distance de plus de 100 millions d'étoiles sera connue à mieux que 10% près. Pour les étoiles plus brillantes que V=15, la précision photométrique pour chacune des ~ 80 mesures par étoile sera de quelques millièmes de magnitude, et les vitesses radiales seront obtenues à mieux que le km/s pour les objets plus brillants que V=12,5. Pour les étoiles plus brillantes que V = 16 on va aussi obtenir une mesure de la température effective, de la gravité, de l'abondance des métaux dans leur atmosphère, etc.

 

La précision astrométrique espérée est telle que notre vision du Monde qui nous entoure est susceptible de changer. Un exemple est donné sur la Figure 12 qui montre l'observation d'une tranche de ciel centrée sur l'amas des Hyades. On peut juger de la différence entre ce que montraient les distances obtenues à partir des parallaxes trigonométriques mesurées au sol, les parallaxes Hipparcos et ce qui est attendu de Gaia.

 

 


Figure 12 : L'amas des Hyades (© M.A.C. Perryman)

La figure montre comment la précision sur les distances modifie notre compréhension du contenu d'une « tranche » de ciel. Elle montre la région du ciel comprise entre les ascensions droites 0 et 90 degrés, et les déclinaisons +10 et +20. L'amas des Hyades est situé en haut et à peu près au milieu du champ et notre système solaire en bas à gauche. Sur la figure de gauche sont tracées les étoiles dont les parallaxes trigonométriques étaient observées au sol (van Altena et al. 1995). Chaque point est positionné à la distance correspondante, chaque trait montre l'incertitude sur la distance telle qu'obtenue à partir de l'incertitude sur la parallaxe trigonométrique. On ne distingue que la direction de l'amas. La figure du milieu montre les résultats d'Hipparcos. Les Hyades sont précisément localisées, et la structure 3D de l'amas est pour la première fois mise en évidence grâce aux distances précises de toutes les étoiles jusqu'à environ la magnitude 11. La figure de droite montre ce que l'on attend de Gaia : toutes les étoiles jusqu'à la magnitude 20, avec une précision telle sur la distance que les barres d'erreur ne sont plus visibles sur le dessin (bien qu'elles y soient tracées).

charge utile

 

 


L'objectif premier de Gaia est l'étude de la composition, de la structure, de la formation et de l'évolution de notre Galaxie. En effet, la détermination, en parallèle, des paramètres astrométriques, permettant de positionner les étoiles en trois dimensions dans la Galaxie, de connaître leur mouvement (aussi à trois dimensions) et des paramètres astrophysiques, va permettre une analyse détaillée de toutes les populations d'étoiles et de toutes les composantes, du bulbe au halo, du disque avec ses bras spiraux et ses amas d'étoiles aux parties externes de la galaxie avec les courants d'étoiles provenant probablement de rencontres avec des galaxies voisines. De disposer simultanément de la distance, de la cinématique et des caractéristiques chimiques d'un très grand nombre d'étoiles va permettre d'établir avec beaucoup plus de détails et beaucoup moins d'incertitude les relations qui relient tous ces paramètres et qui sont les clefs de la compréhension de la formation et de l'évolution de la Galaxie.

 

Cet ensemble de données apportera aussi un renouvellement complet des études de physique stellaire : l'ensemble du diagramme de Hertzsprung-Russell sera observé et calibré, des naines blanches ou brunes aux géantes, supergéantes et étoiles bleues de la séquence principale les plus brillantes, en passant par toutes les sortes d'étoiles variables et d'étoiles particulières. Tous les types d'étoiles seront mesurés, même les plus faibles, les plus rares ou dans les phases d'évolution les plus rapides. Ce flot de données très précises donnera une impulsion majeure aux études sur la structure interne et les atmosphères des étoiles, sur leur formation et leur évolution, et stimulera certainement de très nombreuses autres observations, depuis le sol ou l'espace, en particulier de la spectroscopie à haute résolution, pour étudier plus en détail les abondances de divers éléments chimiques.

 

En dehors de ces deux domaines essentiels, de nombreux autres sujets vont grandement bénéficier des données de Gaia : détection de milliers d'exoplanètes (suivi systématique de millions d'étoiles pour détecter la présence de planètes de masse analogue à celle de Jupiter - ou de masse inférieure pour les étoiles les plus proches – de périodes entre 1,5 et 9 ans) ; analyse détaillée de millions d'étoiles doubles de toutes sortes et dans toutes les populations d'étoiles de la Galaxie ; étude des orbites et de la taxonomie de centaines de milliers d'astéroïdes ; nouvelle définition d'un système de référence à partir des nombreux quasars observés par Gaia ; comparaison des différentes populations de notre Galaxie avec celles des galaxies du Groupe Local ; dynamique du Groupe Local ; tests de la relativité générale via l'observation de phénomènes tels que la courbure de la lumière ou la précession du périhélie.

 

En définitive, Gaia, l'arpenteur de la Voie Lactée, sera également historien, chimiste et physicien !

 

Liens utiles :

Action spécifique Gaia

http://sci.esa.int/gaia

http://www.rssd.esa.int/gaia (voir en particulier la section « Gaia Outreach »)