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Antoine et les étoiles


C'est arrivé le 2 mars. J'aurais aimé, moi aussi, commencer cette histoire à la façon des contes de fées. C'est vrai, d'une certaine manière, un e-mail qui arrive, c'est un peu magique. Celui-ci, envoyé depuis le serveur WWW de l'Observatoire de Paris, disait:

Date: Mon, 02 Mar 1998 10:04:00 +0100 (MET)
Je recherche tout type d'information sur l'astéroïde B612. 
Pourriez-vous me mettre sur la voie ? Merci bien.

Cela arrive souvent, des courriers comme celui-là. Des questions précises, sérieuses, de la pub, hélas, et des messages surprenants parfois.

Avant d'aller chercher la réponse dans une base de données, je veux dire là où quelqu'un de sérieux irait la chercher, je me suis rappelé avoir parlé récemment de cet astéroïde à Leïla (9 ans). Pas besoin de faire de la bibliographie, un seul auteur en parle. La référence, qui en vaut bien une autre, après tout :
- Saint-Exupéry, A. de, 1946, Le Petit Prince, Gallimard ed.

Chacun connaît l'histoire : « cet astéroïde n'a été aperçu qu'une fois au télescope, en 1909, par un astronome turc. Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un Congrès International d'Astronomie. Mais personne ne l'avait cru à cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça.
Heureusement pour la réputation de l'astéroïde B 612, un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s'habiller à l'européenne. L'astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit très élégant. Et cette fois-ci, tout le monde fut de son avis.
 »
Antoine exagère, bien sûr : je connais quelqu'un qui n'a pas eu besoin d'être habillé en turc pour subir une mésaventure voisine.

Quand j'ai raconté cette histoire autour de moi, un astronome m'a demandé: « cet astéroïde, il existe vraiment ? » Quelle drôle de question. On peut laisser la réponse à Antoine : « Ainsi, si vous leur dites : "la preuve que le petit prince a existé, c'est qu'il était ravissant, qu'il riait et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est qu'on existe", elles hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant! Mais si vous leur dites : "la planète d'où il venait est l'astéroïde B 612", alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquilles avec leurs questions. »
Malheureusement, c'est un peu plus compliqué avec les astronomes. Concernant la nomenclature des astéroïdes, ils se référeront sans hésiter aux recommandations de la Commission 5 de l'Union Astronomique Internationale. Ils savent bien qu'aucun astéroïde ne porte cette désignation. D'accord, il y a bien l'astéroïde (612) Veronika, découvert le 8 octobre 1906 par Kopff à Heidelberg ; mais d'après Saint-Exupéry (1946), l'astéroïde B 612 se trouverait au bout d'un an au même endroit au-dessus du désert. La période ne collerait pas, et puis, allez, Heidelberg n'est pas si désertique, et Kopff, ça n'est pas un nom turc.

Pour lever l'ambiguité, il faudrait faire une demande de temps d'observation sur un télescope, mais j'ai de bonnes raisons de penser qu'il ne serait pas accordé. Il faut pardonner aux astronomes, ce sont des grandes personnes.
Pourtant, ils ont fait des efforts. Ils ont même retenu le secret du renard: « l'essentiel est invisible pour les yeux. » Ils observent donc dans l'infrarouge, l'UV, le domaine radio ou X...

Je ne suis pas persuadé que ce soit à cause du renard. Mais je crois que, parmi ceux d'entre eux qui se souviennent avoir été un enfant, il y en a qui, regardant le ciel, se posent la seule question importante : « le mouton a-t-il, oui ou non, mangé la fleur ? »


Cette histoire s'est déroulée il y a bien longtemps maintenant... J'ai réalisé par la suite que les astronomes avaient finalement donné raison à Antoine quatre ans après en créant en septembre 2002 le nom Bésixdouze pour l'astéroïde 46610 (1993 TQ1) !
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Avril 1998