Hommages à Pierre Turon Lacarrieu

1944 - 2022

Pierre Turon Lacarrieu nous a quittés le mercredi 25 mai 2022, dans sa 78ème année. Il a travaillé à l'Observatoire de Paris du milieu des années 1960 au milieu des années 1980 dans ce qui s'appelait à l'époque l'équipe infrarouge, hébergée au LAM (actuel bâtiment 18) à Meudon, sous la responsabilité de Pierre Léna. Il fut l'un des pionniers de l'astronomie infrarouge, et son inventivité dans ce domaine de recherche tout nouveau était un remarquable atout.

De la part de Catherine Turon


Les témoignages de Pierre Léna, de Daniel Rouan et Thibaut Lebertre, jeunes doctorants ces années-là, et de Nicolas Epchtein avec qui il a beaucoup travaillé, sont rassemblés ci-dessous.


J’ai connu Pierre Turon Lacarrieu au milieu des années 1960 où il avait rejoint l’observatoire à Meudon et s’engageait dans la recherche. Depuis l’Observatoire de Kitt Peak en Arizona, possédant alors le plus grand télescope solaire du monde, je m’intéressais aux propriétés infrarouges de la granulation solaire. Ce sujet intéressa Pierre, qui fut accueilli à Kitt Peak et y développa des mesures qui le conduisirent à soutenir son doctorat. Obtenir la meilleure résolution angulaire possible était essentiel, et Pierre avait eu alors l’idée brillante, que malheureusement nous ne mîmes pas en œuvre, d’utiliser la méthode interférométrique de Fizeau, qu’Antoine Labeyrie exploitera quelques années plus tard. Ceci illustrait bien son esprit toujours en recherche et en dialogue. Son ample curiosité scientifique et son goût pour la pédagogie en firent aussi le traducteur d’un des volumes du Berkeley Physics Course, un succès pendant des décennies auprès des étudiants. Après son doctorat, il rejoignit l’équipe qui se formait avec Daniel Rouan autour des observations infrarouges à bord d’un avion Caravelle. Il s’enthousiasma alors pour la toute jeune informatique dont il équipa notre instrument, avant de décider de voguer vers d’autres cieux, l’Observatoire européen austral, puis l'industrie.

Pierre Léna


Pierre Turon Lacarrieu a été le chercheur avec qui le jeune doctorant que j'étais a vraiment découvert qu'on pouvait faire preuve de beaucoup d'inventivité dans la conception d'une instrumentation astronomique. Il fourmillait d'idées pour rendre plus efficace le télescope infrarouge embarqué dans une Caravelle, projet que Pierre Léna avait conçu et dirigeait. Il m'a initié à des technologies de pointe de cette époque : caméra intensifiée, cellule à quatre quadrants, sans oublier l'introduction révolutionnaire d'un ordinateur PDP11 pour automatiser certaines des opérations. Le succès du projet a dû beaucoup à ses compétences et à son ingéniosité. Mais par dessus tout je garde le souvenir d'un garçon ouvert, chaleureux plein d'humour et apprécié par toute la jeune équipe technique qui l'avait gratifié du surnom pas très raffiné de Tutu qu'il acceptait avec le sourire. Nos chemins se sont séparés un peu trop vite et j'aurais sûrement encore beaucoup appris de lui.

Daniel Rouan


Pierre Turon fut un pionnier de l’astronomie infrarouge en France.

Jeune étudiant en thèse il m’initia aux difficultés des observations astronomiques dans ce domaine spectral, alors quasiment vierge, et aux subtilités des techniques observationnelles et instrumentales. Il me fit travailler sur une expérience ambitieuse d’imagerie à dix microns de longueur d’onde. J’appris beaucoup avec lui, et aussi découvris les États-Unis et leurs formidables capacités techniques et scientifiques d’alors. Nous étions en 1982, et Pierre, en France, était en avance sur son temps. A mon grand regret, il partit vers un autre horizon. Je conserve l’image d’un esprit imaginatif, soucieux de faire passer son expérience au petit jeune, un peu perdu, que j’étais alors.

Thibaut Lebertre


C'est avec beaucoup d'émotion et une très grande tristesse que j'apprends la disparition de Pierre. C'est à lui et surtout à son esprit bienveillant et ouvert que je dois d'avoir trouvé au sein de "l'Infra Rouge Spatial" au "château" de Meudon, avec, entre autres, Jean Gay, Pierre Léna et Yvon Biraud ma "voie" dans l'astronomie infrarouge. Il n'a pas seulement largement contribué à me faire découvrir cette branche alors naissante, donc passionnante et prometteuse de l'astronomie, mais aussi les technologies de détection IR, notamment bidimensionnelles, et surtout, et c'est peut-être l'essentiel, il m'a ouvert au monde de la coopération internationale: (Europe, USA, ESO) en astronomie et au dépassement du cercle national.

Je me souviendrai toujours de notre première mission conjointe à l'ESO au Chili. C'était en avril 1977- le 3.6 m était encore en phase de finition- ma première découverte d'une "autre" astronomie, c'était aussi celle de l'Amérique et de l'Europe de la science. C'est là que, sur son exemple, je compris que seul notre continent pourrait rivaliser avec le rouleau compresseur US et leurs "ténors" de l'époque (Low, Becklin, Neugebauer...). Ce fut aussi l'occasion de découvrir ensemble à notre retour, en vrac, le Machu-Picchu, Cuzco, Kitt-Peak qu'il connaissait bien et ... Manhattan. Un voyage qui fut pour moi proprement initiatique.

C'est avec Pierre que nous fîmes dès l'ouverture aux utilisateurs du 3.6 de La Silla, la première "cartographie" à 10 microns -c'est un bien grand mot au regard des prouesses technologiques d'aujourd'hui- avec ce télescope flambant neuf d'une "région HII" (RCW 38, je crois) et un photomètre à bolomètre unique qu'on avait "bricolé" ensemble.

Puis, un jour, il a disparu de l'astronomie, alors qu'il m'avait instillé cette impérative nécessité des coopérations internationales dont l'ESO était (et reste) emblématique. Je ne sais pourquoi. J'avance toutefois une hypothèse, je crois qu'il était un peu frustré de ne pouvoir faire avancer plus vite la conception de ce qui aurait été la première vraie caméra bidimensionnelle pour l'IR moyen, ces "puces" qui fournissent aujourd'hui ces images détaillées si prodigieuses de l'Univers. Ce fut une très grande perte pour l'astronomie.

Esprit universel, d'une générosité incomparable, Pierre était plus un ami qu'un maître.

Je ne peux qu'adresser mes condoléances attristées à ses filles, sa famille, ses collaborateurs et tous ses amis.

Nicolas Epchtein